jeudi 17 novembre 2016

La dictature du cool. Mary poppins

J’essaie de t’éviter, pourtant tu pollues mon espace visuel et auditif. Je ne sais pas comment on pourrait t’astreindre au silence et à la transparence, car malgré ce que tu revendiques, tu n’es pas un unique et différent, mais une armée de pareils. Tu m’empoisonnes ici, mais je pourrais toujours essayer de t’échapper, je te trouverais de la côte Est à la Côte Ouest, à Londres, à Amsterdam, à Berlin et encore tout autour. Tu as fait ton nid de l’Occident parce que tu y as trouvé toute la petitesse d’âme qu’il te fallait pour t’épanouir. Tu t’es auto-marketé sous l’appellation ‘génération y’, mais ta vermine dépasse largement le cadre des deux
dernières décennies : elle a prospéré dans le giron malade des siècles passés, elle pourrit déjà ta marmaille.

Tu ris, tu consommes avec insouciance, des tendances, du branché, du vulgaire, et tu t’en enivres pendant que de l’autre côté du globe on ramasse tes merdes, et tu t’étonnes que ça vienne te péter à la gueule. Parce que dans l’éclat de ta bien-pensance toute puissante, tu te situerais plutôt humaniste (quelle horreur, déjà !), un peu bordélique mais tellement... cool, tellement fréquentable que tu t’affiches en long en large et en travers sur les réseaux sociaux, étalant ta médiocrité, ton néant que tu affiches en philosophie.
Oui parce que quand tu décides qu’après une carrière de publicitaire ou de graphiste, ou d’architecte, ou de financier, ou -oh mon dieu- de lanceur de start-up, que tu as assez déconné et enculé tout le monde, et que tu pars t’installer dans le Larzac ou à Katmandou, tu décides qu’on s’est trop éloigné de la nature, tu vois, maintenant tu te laves à l’eau froide dans ta maison à 500 000 et tu manges bio. Ce serait joli, d’ailleurs c’est  joli : tu étales ta nouvelle vie à longueur de pages du Milk Decoration, sur Pinterest et Instagram. Non, ce serait, disons, poli, si tu fermais ta gueule et que tu te remettais en question en silence, mais non, tu as envie de donner des leçons à tout ce qui t’entoure. Tu fais des films qui enfoncent les portes ouvertes, ou même : tu déverses ton mazout sur les paysages que tu photographies d’hélicoptère pour dire qu’ils vont disparaître. Tu laves ta conscience en versant l’argent que tu as extorqué dans de petites œuvres caritatives et en militant pour tout ce qu’au fond, tu ne sais pas respecter.  

Tu as vitrifié Pierre Rabhi en pâle idole verdâtre, en gentil alibi pour people en phase de pourriture égocentrique. Cet homme était une bombe, il y avait dans son message une révolution, quelque chose qui aurait pu être violent et salutaire. Mais tu l’as transformé en 33 tours, qui roule inlassablement son discours édulcoré de presse people en plateaux télé.
Tu es devenu vegan dernièrement, mais pour deux semaines seulement, car tu n’imaginais pas la résilience dont il faut faire preuve pour mener cet engagement. Parce que ça va aussi à l’encontre de tes principes : tu es cool, tu ne peux pas t’imposer de convictions trop ardues. Ah oui mais les animaux... Ça tourne dans ta petite tête en surchauffe. Tu décides de ne manger que des animaux bio. Tu imagines sûrement qu’ils sont tués gentiment, après qu’on leur ait chanté une berceuse et massé le dos. Tu t’absous dans l’argent que tu dépenses pour laver tes pêchés. Car tu ne t’encombres de rien.
Girouette sans vergogne, le vent coule entre tes deux oreilles. Tu préfères le divertissement à toute forme de réflexion. Tu danses là où il faudrait se souvenir, tu railles là où il faudrait comprendre, tu coupes là où il faudrait approfondir. Tu es le roi de la citation, l’as des gros titres, un dealer de zapping. Ton bagage est maigre mais ton égo le compense allègrement, même si tu le noies sous des litres de condescendance. Dans ton vocabulaire, tu as remplacé « truc de pauvres » par « populaire », et ça te parait plus propre. La banlieue t’apparait un peu comme un local à poubelle, à moins que tu ne décides de t’y installer et de tout refaire à ton image, asphyxiant le quidam à coups de Starbucks et de Mama Shelter.
Tu n’es rien moins qu’une persistance de vieille bourgeoisie, très fifties, que tu penses pouvoir renier en la relookant. Les filles lancent des blogs de couture et de tricot, de cuisine et de déco, pendant que les garçons parlent de politique et d’économie. Rien n’a changé, car sous le vernis chatoyant de belles images photoshopées flottent les toujours même vieux relents de conservatisme, d’intégrisme, une forme de féodalité que tu déguises en désinvolture. Un impérialisme cinglant sous de faux-airs de démocratie.

Ta première punition vient de tomber : les vraies gens, ceux qu’on ne voit pas dans les magazines,  qu’on ne voit pas non plus dans les sondages, ont préféré élire un clown tonitruant pour tenter de sauver leur peau. Ils ont préféré élire quelqu’un qui leur urine dessus à longueur de carrière et de discours. C’est dire s’ils te haïssent, toi le dictateur de la coolitude. C’est dire si tu as été mauvais. C’est dire si tu es dangereux. Mais prépare-toi, parce que le pire est à venir. Alors si tu pouvais te sortir de mon chemin, s’il te plait, pour que je puisse regarder l’horizon un peu plus sereinement, parce que là, pour le moment, j’ai peur.

Mary Poppins

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