lundi 13 janvier 2014

En un clin d’œil, tout s’éteint. Marie Jeanne.

Ma vie, c’est de la merde. Quant à mon avenir, il ne s’annonce pas merveilleux. Je le sais et je le sens dans mon corps, ma vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Je m’achemine vers la mort, comme tout être vivant sur cette terre, sauf que mon chemin est bien trop long, bien trop semé d‘embuches… Je le vois serpenter à l’horizon. Il ne m’annonce rien de bon ce salaud ! Alors c’est décidé je veux en finir. Je vous l’annonce à tous : je veux mourir.


Malheureusement pour moi, petit être en construction bancale, je ne peux m’autodétruire proprement. J’ai besoin d’un petit coup de pouce. J’engagerai bien un tueur à gages, mais j’ai beau fouillé dans la poche, il n’y a pas de monnaie ici.

Je souffre le martyr. Nuit et jour. Le temps qui passe n’est que souffrance. Certes, vous me direz que tout le monde souffre et que je ne peux pas m’approprier le monopole de la souffrance. Je vous l’accorde. Je souffre comme tout le monde mais certainement pas au même degré que tout le monde. Il est difficile d’évaluer la souffrance physique. Notre seuil de tolérance à la douleur est propre à chacun d’entre nous. Alors certains me diront que si je suis encore en vie, c’est que je ne souffre pas assez pour céder fasse à la douleur. D’autres me diront que mes souffrances dans cette vie m’apporteront le bonheur dans une autre, à condition que je les supporte jusqu’à ce qu’elles m’emportent. Et d’autres enfin, conçoivent le fait que je veuille en finir et que le fait de m’aider à y parvenir ne serait pas un meurtre mais une douce euthanasie, une bonne mort.

Aux Pays-Bas, l’euthanasie et le suicide assisté ne sont autorisées qu’à la condition que six critères soient respectés, le premier étant que le médecin soit convaincu que la question de l’euthanasie du patient ait été volontaire et délibérée. Et bien oui, monsieur le docteur, j’ai volontairement et délibérément pris la discision irrévocable de mettre fin à mes jours.

Le problème c’est que je ne peux vous l’exprimer clairement car je n’en ai pas la capacité physique. Je compte sur mes biens aimés parents pour vous en faire la demande et voir avec vous les moyens de m’aider dans cette démarche. Ma mère n’arrête pas de pleurer quand elle me regarde. Mon père est abattu, comme mort de l’intérieur… Il a bien de la chance. Je les aperçois vaguement entre deux sédations. Parfois, je pleure, alors ils s’agitent brusquement et appellent une infirmière qui vient régler les perfusions me transperçant les membres fébriles que je ne parviens presque pas à bouger. Mes souffrances sont insupportables et je suis sans espoir de rémission (critère n°2 pour parvenir au jackpot). Mon médecin m’a informé de ma situation (n°3) et nous sommes parvenus tous les deux à la conclusion qu’il n’y avait pas d’alternative raisonnable (n°4) ce que nous avons validé d’un clin d’œil coordonné digne de membres d’un gang. Je suis plutôt fier de faire parti du même gang que lui. D’ailleurs, il m’a présenté un ami à lui (n°5), avec qui j’ai pu partager le même échange.

Je suis proche de la réussite. Le dernier critère étant la qualité des soins apporté au moment de l’euthanasie, je me permets de le valider par avance. Ainsi, toutes les cases sont cochées, je vais pouvoir… enfin… heu…il faut… peut-être que… avant ça… il reste un léger détail à régler.

Ma mère n’arrive pas à se résoudre à cette ultime étape. Je le sens. Elle culpabilise. Mon père me l’a dit l’autre jour. Il est venu me faire ses adieux. C’est étrange, il s’est excusé. J’ai eu l’impression que c’est lui qui allait quitter cette vie. Il m’a dit ne pas se sentir digne de continuer. Il pense qu’il ne mérite pas de vivre dans un monde où je n’y ai pas ma place. Il a conclu en me disant que s’il n’était pas capable de m’aider à moi, il ne voyait pas comment il pourrait consoler ma mère. Il semblait perdu. Alors j’ai rassemblé toutes mes faibles forces, et dans un déchirement de douleur, j’ai fait un clin d’œil à mon père. Il s’est mis à pleurer.

Le clin d’œil que je maîtrise depuis quelques jours est ma seule arme de consolation, de validation, de communication. Ce n’est pas tellement la douleur qui m’empêche d’en faire plus mais plutôt mon âge. Voyez-vous, je n’ai que cinq mois. Enfermé dans mon cocon à la maternité, je n’ai pas appris grand-chose. Excusez-moi.

Marie-Jeanne.

Source : http://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen

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