dimanche 23 octobre 2016

L'abstention : l'ultime vote de la foi et de la raison

Extrait choisi d'un livre clairvoyant, précis et extrêmement pertinent, en ces temps d'islamophobie et d'intolérance décomplexées... Un grand merci à l'auteur et l'éditeur pour l'autorisation de diffusion de ce texte, en adéquation parfaite avec notre campagne pro-abstention.

Il faut distinguer deux sortes d’abstentionnismes qui peuvent atteindre le citoyen contemporain. Tout d’abord, celle relevant du processus de dépolitisation démocratique, la perte d’intérêt du vote est alors perçue par l’individu :

- Soit comme : inutile d’apporter sa propre contribution à une architecture qui ne semble pas avoir besoin de lui, ou bien alors, comme un effondrement de la pertinence politique, sublimée de plus, par une volonté de combler des désirs hédonistes : c’est l’apathie sociale que crée l’individualisme démocratique.
- Soit une abstention de « semi contestation » issue d’une volonté de rénovation
des modalités du système démocratique sans toucher au dogme, en promouvant une Réforme ou un aggiornamento de la démocratie : elle est issue des citoyens « protestants » de la démocratie.
Ces abstentions sont le résultat normal (ou quasi-) du processus de démocratisation, c’est-à-dire pouvant toujours être régulé par elle.

La seconde forme d’abstentionnisme est active et profonde, elle défie le système par sa totale négation et son désaveu, c’est une abstention « réactionnaire » dans l’exact sens que Taguieff donne à ce terme. Elle est issue de nouvelles visions et des nouvelles croyances des nouveaux hommes réellement a-démocratiques. Des abstentionnistes de conviction dont il est beaucoup trop tôt pour dire s’ils sont les continuateurs de la révolution démocratique ou des hérétiques dont la multiplication va finir par détruire la religion démocratie, lui faisant vivre, à elle aussi, son « Crépuscule des idoles », elle qui est devenue l’idole des idoles contemporaines.

C’est cette abstention là que nous visons et qui nous intéresse. C’est ce citoyen que l’on nommera ici l’individu post démocratique. Cela même s’il est encore parfois très difficile de pouvoir distinguer dans la masse des abstentionnistes leurs différentes natures. Tout l’intérêt médiatique qu’ils suscitent ressemble aux troubles et à la terreur de l’an mille... Partout surgissent frénétiquement, à chaque résultat de ces messes électoralistes, les lamentations, les craintes et les peurs des vrais adeptes de la religion démocratie. Car comme pour le christianisme (surtout pour le catholicisme en France et ailleurs...) dont les rites ne sont plus appliqués avec la ferveur d’antan, le déclin est amorcé et annonce les prémices de sa mort inéluctable. Ces peurs actuelles nous rappellent celles plus anciennes du clergé chrétien devant la mort inéluctable de la religion qu’il s’était donnée et créée au fil des siècles. Là encore, la France, fille aînée de l’église, puis de l’athéisme, semble être la nation qui marque l’avant-garde une fois de plus, d’une évolution sociale s’enfonçant vers l’inconnu d’un nouvel horizon post démocratique, comme elle fut la première à atteindre l’horizon chrétien puis postchrétien.

Elle est en effet l’un des rares pays dans lequel l’abstention semble toucher tous les modes de scrutin sans exception et dont l’évolution met en évidence une tendance durable, qui n’est pas prête de changer. C’est pourquoi certains membres du clergé démocratique, pour remédier à cette perte de foi politique qui transforme leur Église démocratie en ce que sont devenues aujourd’hui les églises chrétiennes, sortent l’arme ultime : la loi. La loi est maintenant l’unique panacée capable d’enrayer la maladie de l’abstention qui risque de donner la mort au corps sacro-saint de leur religion démocratie.

[...]

Il est évident et plus que certain, que si l’abstention continue vers cette évolution et progresse au sein des citoyens, les pouvoirs publics réagiront par la contrainte législative. Il en va de la viabilité et de la légitimité de tout le théâtre démocratique, en confirmant d’ailleurs le dramaturge Jean Rostand : « la faiblesse des démocraties, c’est qu’il leur faille, trop souvent, se renier pour survivre ». Ainsi, juger que l’abstention est un délit s’avère être une offense à l’esprit de liberté et de tolérance. Liberté dont la démocratie se targue d’être le champion. Mais si ce système est lui-même en danger, on ne se souciera guère de ces subtilités, car aucun moyen ne lui est interdit, un beau reniement en perspective...

Que dire de plus si l’abstention, au lieu de n’être qu’une simple négligence du citoyen ou un défaut de civisme (comme certains veulent le faire croire en essayant de se rassurer) était en réalité un choix mûrement réfléchi, le fruit de convictions personnelles garanties elles-mêmes par les constitutions démocratiques ? Rien assurément, surtout si la vision démocratique est teintée d’égalitarisme au détriment de la liberté individuelle, comme cela semble être le cas de la France. Que cet abstentionnisme provienne de la minorité de musulmans consciencieux, désirant préserver l’intégrité de leur religion et rejetant ce néo paganisme, ou qu’il s’agisse de l’abstentionnisme plus largement partagé provenant de simples citoyens éclairés sur la réelle nature du système en place et qui font désormais les mêmes conclusions que le célèbre anarchiste Élisée Reclus : « Voter, c’est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renoncer à sa propre souveraineté. Qu’il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d’une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu’ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir. Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l’échenillage des arbres à l’extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l’immensité de la tâche. L’histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement. [...] N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez ! » L’abstention peut être un acte de foi pour beaucoup, mais il est aussi un acte de résistance pour d’autres. Et finalement, il est pour nous un acte de foi et de résistance, or foi et volonté de résistance sont toutes deux issues de choix librement consentis et d’une liberté individuelle.

Aïssam Aït-Yahya, De l’idéologie Islamique Française, éloge d’une insoumission à la modernité, Nawa Editions, mars 2015

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