dimanche 23 octobre 2016

Joie. Maeki Maii

Mark Rothko, Untitled,
Orange on Yellow, 1956
Le divertissement c’est dangereux, ça attaque les zones sensibles, ça ronge l’esprit. C’est un cancer. Leur médicament est nocif. On donne de l’eau de javel à des bébés, et ils biberonnent. Et ils trouvent ça bon, leur javel, elle a goût de fraise bonbon. Par l’émotionnel, toutes émotions est déchiquetées. En charpie. Puis ils viennent avec des mallettes pleines de produits. Ils nous vendent ces produits comme du rêve, et comment osent-ils appeler leurs saloperies ? De la Joie !

Mais la Joie ce n’est pas ça. Non. La Joie… elle est toute visage. Toute innocence. Très, très lumineuse. Elle se parfume d’eau fraîche. Elle adoucit les mœurs. C’est un coussin en soie ou en satin. Avec des petites décorations cousues à la main. Des pétales de grâce en jasmin. La joie est très féminine, sans artifice, sans prétention. Mutine. Quand elle rit, les océans se scindent en deux pour laisser passer les cortèges de tendresse pénétrer l’épine dorsale. Quand elle crie, les cieux déversent des torrents de larmes de délicatesse, à en noyer nos Ames. Câline, elle embrasse, elle
embrase, jeune fille de flamme. Chaleureuse. Elle met en confiance dès le premier regard, ses paroles sont des chuchotements du cœur. Elle glisse dans les airs. Elle est toute nuage. Tout coton. Content celui qui se prélasse en son sein moelleux. Heureux celui qui se dorlote sur son corps, confiant. Précieuse mais pas de pierre, elle n’est pas roche. Si elle s’approche, nous l’aimons aussitôt. Fière comme l’Existence, elle n’en est pas moins humble comme la Mort. Elle sait se faire discrète, ce qui agace parfois, mais elle a raison. On l’identifie à des saisons, des instants, des visions, des odeurs, des couleurs, les meilleurs. Pourtant elle n’est rien de tout ça. Pourtant elle est dans tout ça à la fois. Son Regard est fait d’une lueur de Foi. Sa voix... Qui a déjà entendu la voix de la Joie ? Sa voix, c’est le corps d’un enfant qui dort. D’un enfant qui danse. D’un enfant qui chante. D’un enfant qui rit. D’un enfant qui vit. Elle est très enfantine en fait. Elle tutoie les anges surtout. Mieux encore, elle sautille sur leurs auréoles. C’est une petite chatte folle adorable. Sauvage et abordable. Indépendante dans ses actions, séduisante par sa présence. Elle est Phoenix, elle meurt puis elle renaît de ses cendres, et ainsi de suite, sans cesse. En perpétuelle oscillation, en mouvance. Constante. Éternellement grande et quotidiennement petite, comme une fourmi. La Joie, c’est plonger sa tête dans la fontaine de Jouvence et en ressortir avec un sourire plus grand que la galaxie elle-même. Toutes dents dehors. A l’abordage de nouveaux rivages de la Vie. C’est un horizon parsemé de champs de vigne jusqu’à l’infini, et chacune des feuilles de vignes qui peuplent ce champs sont celles que tous les Adam et Eve de la planète ont enlevés de leur parties génitales pour se montrer enfin, réellement, à nu. C’est une mise à nu. Intégral. Strip-tease royal. Fantasmons ! Fantasmons et imaginons-nous, un instant, dans un lit immense. Un peu de luxure, comme ça en passant. Dans ce lit, une soirée torride, soi-même en train de faire une partie à trois avec la Bienveillance et la Joie. Quel intense trio, non ? C’est aussi ça la Joie, ça fait rêver. On sent sa présence, quand elle arrive. Quand elle est là. Oui… Elle est toute Bienveillance. C’est aussi une coquine qui se cache, parfois, elle préfère rester à l’intérieur, au chaud, près de la cheminée, rieuse. Elle caresse les cheveux,  elle est toute en caresse. Elle aime bien les bains chauds, avec des bougies rouges aux senteurs parfumées à la fleur de pétunia et le verre de vin rouge bordeaux grand cru d’appellation d’origine incontrôlée. Tout ce rouge. Elle est sanguine, adorablement sanguine. Elle a son petit caractère aussi, parfois elle boude dans sa chambre ou elle se cache derrière le Temps. Mais quand elle gambade… seigneur… quand elle sautille de nuage en nuage comme un petit ange fripon. C’est la grande béatitude. La Messe des messes. Les Harpes d’Or se mettent à vibrer de toutes leurs cordes, les trompettes scintillent tenus par des anges ivres, les tambours battants bombent leurs torses velus, les trombones prennent des grandes inspirations, les cymbales s’emballent et le piano s’échauffe… chatoyance ! Le chef d’orchestre est-il prêt ? Il fait signe de la tête que oui. Le Regard perçant d’un aigle royal, Beau comme Apollon nageant dans la Mer Egée, il se tient droit, sûr de lui, il a sa baguette magique, pour transformer l’espace en tourbillon, il l’a fait tapoter sur son meuble à partition, en bois d’ébène, pour faire Silence. Chut. Voici, le concert ne va pas tarder à commencer. Quel concert ? Mais bon sang, il faut suivre, ce soir on joue Divin. Une Ode. Une Symphonie. Un Hymne… Ô Joie, embrasse-nous de tes lèvres pulpeuses ! Bénis-sois tu, chère et tendre aimée, on se revoit bientôt… Musique Maestro !

Il y a de la musique dans l’air. Ça dérange les voisins. Les voisins ils n’aiment pas être dérangés. Les voisins ils veulent rester confortablement dans leur morne confort. Il y a de l’aigreur dans l’air. Et c’est très mal comme ça. C’est à se demander si tous ces gens, tous ces voisins, là, qui nous entourent, tous, se rendent-ils compte qu’ils sont vivants en quelque sorte ? Chaque jour que Dieu fait… Dieu hein ! vous l’appelez comme vous voulez celui-là, il a plein de nom vous savez, il y en a même qui l’appelle le Hasard, c’est pour vous dire, et ben chaque jour qu’il fait, nous, il faudrait se réveiller, comme ça, dans son lit ou sur sa paille, en hurlant : « Merci. » Même pour les journées de merde... surtout pour les journées de merde ! C’est tout simple. C’est tout efficace. C’est de la Bienveillance. C’est comme ça. Sauf que le voisin, ça fait longtemps qu’il n’est plus dans la Bienveillance. Parce qu’il y a trop de trucs malveillants dans ce monde. Alors il se met à l’image du monde. Ça le rassure en quelque sorte. C’est pour lui un moyen d’être dans l’adaptation. Mal-veiller sur les autres, pourtant, c’est mal-veiller sur soi. C’est pas très efficace tout ça. En fait, c’est que le voisin, il croit s’adapter au monde alors qu’il ne s’adapte qu’à une petite partie du monde. C’est une partie très voyante, très pointe-d’icebérique aussi, mais c’est une partie très moche du monde. C’est celle que les Hommes ont créé pour dissimuler ce qu’ils n’ont pas réussis à faire. Les Hommes, et nos voisins en font partie, ils ont trop voulu égaler Dieu, sauf qu’ils n’ont pas compris, les pauvres, que pour être au plus proche de l’égal de Dieu il ne faut surtout pas essayer de l’égaler. C’est le premier petit pas pour l’homme, c’est le premier grand pas pour l’humanité. Non. Ils ont préférés faire de grand pas dans la Vulgarité. Comme c’est petit. D’ailleurs, pour eux, Dieu n’existe pas. Ce serait trop Beau pour être Vrai qu’il existe. En plus Dieu il est méchant. Tout ce qui est Juste est jugé méchant. L’Injustice est méchante, et l’Injustice ce n’est pas Dieu, c’est le fruit de l’Homme. Il ne faut pas tout confondre. Dieu qu’il existe ou pas ça ne change en rien, c’est une fausse question. Vaut mieux se dire qu’il existe, c’est plus simple et tout le monde sera content. Vrai. Ce serait trop triste de ne pas le faire exister dans nos cœurs. Parce que le faire exister, ça fait palpiter sévère. J’ai des preuves. A quoi servirait la chapelle Sixtine peinte par Michelangelo dans ce cas ? Pour faire joli ? Pour faire décoratif ? Boarf. Il y a suffisamment d’artistes qui ont prouvés que Dieu existe. Des peintres, des écrivains, des musiciens, des sculpteurs, des cinéastes. Inutile de tourner en rond avec cette question. C’est comme ça. Dieu existe et c’est pour ça que les Hommes veulent le tuer. Sans s’en rendre compte qu’avant tout ils se tuent eux-mêmes. C’est très triste.

Extrait de Sublime, oeuvre en cours...

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