mercredi 22 juin 2016

Nuit debout

J’étais à deux doigts d’opposer une indifférence totale au mouvement Nuit Debout afin de ne pas me compromettre dans cette incommensurable bluette que représente la lutte patronat/salariat, aussi passionnante qu’un livre de Marc Lévy, aussi assommante qu’un programme de France2. Comme d’habitude, et quand j’écris comme d’habitude on doit sentir poindre une certaine lassitude, la cause oppose des gens grisâtres en costume à des gens grisâtres en sarouel. Aucun des deux partis n’est avare de poncifs et chacun veut manger tout le gâteau. Parce qu’évidemment le conflit n’aboutit jamais, le patronat suçant le sang du salariat qui rêve de l’étriper, et vice versa, mais surtout, chacun rêvant d’amasser le plus d’argent et d’en perdre le moins possible, on comprend facilement qu’on ne les mettra jamais d’accord. Le chef d’entreprise bave la nuit en rêvant de produire au coût le plus bas afin de dégager un bénéfice toujours plus vertigineux. Le salarié, lui, délire en rêvant d’un salaire de ministre, d’allocations généreuses, d’un pouvoir d’achat infini. Évidemment les deux partis babillent un jargon d’une mauvaise foi monstrueuse et de tout temps
me sont apparus comme totalement infréquentables. Et si en plus la cause sert quelques médias paresseux et people bien-pensants, alors je fuis, loin, loin, très loin.

Mais, alors que je regardais Sea Shepherd faire toute seule le sale boulot de nettoyage des océans sur mon fil d’actualité, voilà qu’une « publication suggérée » me saute aux yeux, où l’on m’invite à rejoindre le mouvement. Une publication suggérée, c’est une publication payée, une publicité. Je me demande alors qui paie. Qui paie ça. Qui, exactement, essaie de me parler ? Et puis je me souviens de cette leçon de Pierre Carles qui est à peu près la seule personne en qui j’ai confiance sur terre, qui dit que quelque chose de vraiment subversif ne peut être relayé complaisamment par les médias. Oui, voilà, c’est à ce moment-là que j’ai fini par tendre l’oreille.

Et alors... La naïveté de ces gens... mon dieu, on est au 21ème siècle, et on ne sait toujours pas qui on est. On ne se voit pas. On ne s’entend pas. On n’a aucune conscience de soi même. C’est quand même très drôle que tous ces gens râlent contre le système capitaliste, ils lui crachent dessus, hein, ce sont des révolutionnaires, mais ça les dérange pas trop d’en profiter. Ils sont bourreaux, et se fantasment victimes. Ils sont tous avec leurs petits smartphones et leurs têtes de donneurs de leçons. Ah ça non, ils ne se laisseraient pas faire, eux, si on leur demandait de travailler 12 heures par jour pour un ou deux dollars, le nez dans le cobalt. Mais tu vois, ça ne les dérange pas trop que quelqu’un le fasse pour eux, parce qu’ils en veulent, eux, de leurs jeans à 15€ et de leurs écrans plats à 149€, et encore ils râlent parce que c’est un peu cher, quand même. Que quelqu’un d’autre le fasse pour eux, non, ça c’est bien. Mais loin. Pas sous leurs yeux, attention, ils sont sensibles, ils seraient bien capables de lancer des pétitions, sinon. Mais bon, les petits Congolais, on peut y penser de temps en temps et se donner bonne conscience en signant un chèque pour une ONG à Noël, en ayant pris soin de calculer la part déductible des impôts. Parce que finalement, tout le mal est là : de tous côtés, de tous bords, ils sont proches de leurs sous, et ceux qui jurent le contraire en rêvent la nuit. Ils s’en bâfrent, ça leur entre par les yeux et les oreilles, ça leur sort du trou du cul. Il n’y a qu’à voir ces petites gens, penaudes, se plaindre d’avoir tout perdu parce qu’on les a escroquées en leur promettant de faire grimper leur épargne. Mais oui, ils en voulaient, de l’argent ! Peu importe à qui il allait falloir en enlever pour en gagner plus, ils se voyaient déjà au golf le mardi après-midi, ils se voyaient déjà piétiner les pôvres du bout de leurs Berlutti.

Je m’étonne qu’on s’en prenne encore à l’État. Qu’on mette autant d’énergie à dénigrer un président, un gouvernement, un ministre, une proposition de loi. On sait pourtant qu’ils ne servent à rien, qu’ils sont interchangeables et sautillent sans vergogne d’un portefeuille à l’autre, sans aucune obligation de résultat. On sait bien qu’une élection présidentielle est un concours de Miss avec des poils, et pourtant, on continue de leur taper dessus. Mais de les nourrir. Mais de les détester. Mais de les suivre partout. Mais de les ridiculiser. Nous ne sommes plus à une contradiction près. La vérité, c’est qu’ils y sont bien trop attachés, à leur système. Ils ont bien envie de râler, mais y’a quand même les allocs qui tombent chaque mois, tu vois. Les APL, et tout le barda. Tout ça en fait des révolutionnaires tièdes, de la viande molle pour manifestation stérile. Ça me fait penser à des moutons à qui on aurait coupé une patte : ils gueulent un peu, mais ils marchent toujours dans le même sens. Et ils iront tous voter, c’est sûr, convaincus d’entretenir une tradition de lutte, de faire entendre leur voix. Mais c’est l’absolution qu’ils donneront.

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