vendredi 17 juillet 2015

Transit. Mary Poppins.

Gare de Paris Montparnasse, un jour de semaine, 18h. La foule, partout, l’impression d’avoir marché dans une fourmilière. Qui s’entasse dans les trains, déborde des escaliers roulants et des couloirs, reflue dans les moindres recoins en s’abreuvant d’eau en bouteille et de sandwichs dégueulasses.

  Un sentiment de solitude profonde m’étreint au milieu de ce charnier lorsque je pense aux centaines, aux milliers de gares et d’aéroports qui vomissent en cet instant les mêmes flots incessants de populace pressée. Chaque minute, 2000 avions décollent, autant atterrissent dans le monde. En 2030, on envisage qu’onze milliards de passagers
sillonneraient le ciel. Je me demande si l’homme du 21ème siècle ne voyage pas trop.

  Oui, voilà, c’est exactement la question que je me pose dans la voiture qui m’emporte, quelques jours plus tard, vers l’aéroport. Je regrettais déjà de laisser derrière moi la quiétude d’une terrasse ombrée, la sieste voluptueuse du chat, je partais pour Rome. La trop bonne idée ! Je voulais contempler les sculptures du Bernin, malheureusement j’assiste à un défilé de carnaval ordinaire, je me trouve engluée dans cette grasse limace de vacanciers qui coule le long des rues en troupeaux compacts, le Nikon en bandoulière. Comme j’envie Montaigne ou Stendhal qui ont pu voir la ville presque nue... Moi je n’y ai trouvé que du bruit, de la poussière et des touristes.

  Le touriste, cette espèce en non voie de disparition, hyper protégée, mais ô combien néfaste au voyageur. Le ventripotent envahisseur méprise ce qui n’est pas recommandé dans le guide, cherche les paysages de cartes postales qu’on lui a prémâchés à longueur d’années dans la presse et les médias, il est bruyant à table, insulte volontiers l’autochtone lassé, enfile les destinations comme des perles. Cet hiver il « a fait » Barcelone, aujourd’hui il « fait » Rome, cet été il « fera » Mykonos. Il s’adore, se vénère, et dispense l’amour qu’il a de lui-même dans la production effrénée de selfies partout, tout le temps. Ce sont autant de trophées qu’il ramènera dans ses bagages, persuadé d’avoir conquis la ville et de l’avoir éblouie de sa présence. Alors qu’évidemment, il ne part qu’en laissant derrière lui des tonnes de kérosène, des montagnes de déchets, résidus d’une impression de totale liberté de consommation complètement euphorisante. Il laisse aussi derrière lui d’immenses parkings, des côtes bétonnées, des parcs d’attraction glauques, quantités d’hôtels minables et d’échoppes de mauvaise camelote.


Et cette façon de rappliquer dès qu’on lui souffle un peu de sable blanc dans les yeux... Personne ne peut échapper au pressing spécial Croatie. Enfin, tant mieux, hein, il vaut sans doute mieux des touristes que des soldats, probablement. Mais ça me laisse un arrière-goût vilain dans la bouche. Il faut peut-être même investir dans la Bande de Gaza ou en Syrie, puisqu’il est probable que dans une cinquantaine d’années on y trouve un Club Med. En attendant, haro sur le Portugal, dont on massacre allègrement le littoral à coups d’immondes blockhaus (j’allais écrire immeubles...) pour satisfaire aux désirs de petits retraités français qui, las de n’apercevoir le soleil que trois jours dans l’année, déferlent jusqu’au Maroc passé la soixantaine. Ah ils ne veulent pas voir les anglais ou les chinois s’installer sur notre territoire, et s’insurgent que l’on puisse expatrier la production française à l’étranger pour une main d’œuvre à moindre coût, par contre ils colonisent volontiers les pays méditerranéens pour faire fructifier leur pouvoir d’achat et profiter de la douceur du climat. Ces touristes-là sont les pires : ils sont sédentaires, et aveugles.

De toute façon je ne veux plus partir en vacances. Je n’en peux plus de ces ventres lustrés de crème solaire que l’on dissout dans l’eau de mer, ces enchevêtrements de corps flasques et trop cuits qui tournent comme des brochettes chez le boucher, je ne veux plus être obligée de subir l’haleine de mon voisin de compartiment, je veux de la place, de l’air, et ne plus voir personne, du silence, les étoiles, un peu de vent. Mon salut viendra peut-être de Barcelone, jusqu’alors défigurée par le tourisme, qui gèle en ce moment plusieurs dizaines de projets hôteliers afin de retrouver la paix. Et l’emploi me direz-vous ? Oh mais on en connait, des méthodes, pour relancer la croissance ! Une bonne guerre, ou alors un cataclysme, ça plairait aux investisseurs immobiliers, non ?

En attendant, les grandes vacances restent la meilleure saison pour rester chez soi.

Mary Poppins.

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