mardi 14 avril 2015

Les mots d'Artaud !

Plus actuel que Michel Houellebecq, Jean Dujardin, Natacha Polony, Fauve, Guillaume Canet, Michel Onfray, Jamel Debouzze, Booba, Dieudonné, Frédéric Beigbeder... Antonin Artaud !

L’art a pour devoir social de donner issue aux angoisses de son époque. L’artiste qui n’a pas ausculté le cour de son époque, l’artiste qui ignore qu’il est un bouc émissaire, que son devoir est d’aimanter, d’attirer, de faire tomber sur ses épaules les colères errantes de l’époque pour la décharger de son mal-être psychologique, celui-là n’est pas un artiste.

Tout comme les hommes les époques ont un Inconscient. Et ces parties obscures de l’ombre dont parle Shakespeare ont aussi une vie à elles, une vie
propre qu’il faut éteindre.

À cela servent les œuvres d’art.

Le matérialisme d’aujourd’hui est en réalité une attitude spiritualiste car, pour mieux les détruire, il nous empêche d’atteindre dans leur substance ces valeurs qui échappent aux sens. Ces valeurs, le matérialisme les dit « spirituelles » et il les dédaigne : elles empoisonnent alors l’Inconscient de l’époque. Or rien de ce à quoi peuvent atteindre la raison ou l’intelligence n’est spirituel.

Nous possédons les moyens de lutter, mais notre époque est en train de périr en oubliant de les employer.

Dans ses commencements, la Révolution Russe a fait un vrai carnage d’artistes, et partout on s’est élevé contre ce mépris des valeurs spirituelles que les exécutions de la Révolution Russe paraissaient signifier.

Mais, à y regarder de plus près, quelle était la valeur spirituelle des artistes que la Révolution Russe a fusillés ? En quoi leurs œuvres, écrites ou peintes, témoignaient-elles de l’esprit catastrophique des temps ?

Les artistes, et aujourd’hui plus que jamais, sont responsables du désordre social de l’époque, et la Révolution Russe ne les aurait pas fusillés s’ils avaient eu le sens réel de leur époque.

C’est que dans tout sentiment humain authentique il y a une force rare qui impose à tous le respect.

Au cours de la première Révolution Française on a commis le crime de guillotiner André Chénier. Mais dans une époque de fusillades, de faim, de mort, de désespoir, de sang, au moment où ne se jouait rien de moins que l’équilibre du monde, André Chénier, égaré dans un rêve inutile et réactionnaire, a pu disparaître sans dommage ni pour la poésie ni pour son temps.

Et les sentiments universels, éternels d’André Chénier, s’il les a éprouvés, n’étaient ni tellement universels ni tellement éternels qu’ils puissent justifier son existence à une époque où l’éternel s’effaçait derrière un particulier aux préoccupations innombrables. L’art, justement, doit s’emparer des préoccupations particulières et les hausser au niveau d’une émotion capable de dominer le temps.


Or tous les artistes ne sont pas en mesure de parvenir à cette sorte d’identification magique de leurs propres sentiments avec les fureurs collectives de l’homme.

Et toutes les époques ne sont pas en mesure d’apprécier l’importance sociale de l’artiste et cette fonction de sauvegarde qu’il exerce au profit du bien collectif,

Le mépris des valeurs intellectuelles est à la racine du monde moderne. En réalité, ce mépris dissimule une profonde ignorance de la nature de ces valeurs. Mais cela, nous ne pouvons perdre nos forces à le faire comprendre à une époque qui, chez les intellectuels et les artistes, a produit en grande proportion des traîtres, et, dans le peuple, a engendré une collectivité, une masse qui ne veut pas savoir que l’esprit, c’est-à-dire l’intelligence, doit guider la marche du temps.

Le libéralisme capitaliste des temps modernes a relégué au dernier plan les valeurs de l’intelligence, et l’homme moderne, face à ces quelques vérités élémentaires que je viens d’énoncer, agit comme une bête ou comme l’homme affolé des temps primitifs. Pour s’en préoccuper, il attend que ces vérités deviennent des actes, qu’elles se manifestent par des tremblements de terre, des épidémies, des famines, des guerres, c’est-à-dire par le grondement du canon.

Antonin Artaud, Messages Révolutionnaires, L'anarchie sociale de l'art

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