mercredi 14 mai 2014

De l’animal. Mary Poppins.

Depuis quelques mois, je suis complètement végétarienne. Évidemment, je déteste déjà mes petits camarades nouveaux végétariens, au moins autant que les carnivores. Cependant j’adore les regarder faire et les écouter parler. On les reconnait facilement dans les rayons du Monoprix : tout à coup, enfin je veux dire depuis qu’ils ont compris que manger de la viande c’était mal, vu que c’est trop branché de ne pas en manger, le rayon boucherie les fait tourner de l’œil. C’est assez intéressant aussi de les voir hésiter devant les algues du Naturalia : ils ont l’air inquiet et deviennent tout pâles rien qu’en les regardant. Par contre, ils te pourrissent tous les repas en dissertant d’un air de premier de la classe sur les horreurs de l’équarrissage. Ce serait trop beau que cet engouement pour le végétarisme invite à une réflexion plus large sur notre cohabitation avec d’autres espèces vivantes, mais tourner autour de trois feuilles de salades et un morceau de tofu n’a toujours pas réformé
la condition animale, il me semble. Considérer veaux-vaches-cochons comme trop mignons pour mourir et vomir les chasseurs n’empêche toujours pas l’ouverture d’un nouveau parc zoologique. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’un zoo empêche l’extinction et protège les espèces : si on en est là, c’est pas la faute des animaux qu’on y enferme. Si personne ne les avait décimés, on n’aurait pas besoin de les enfermer pour se souvenir qu’un jour, ils ont existé pour de vrai.

J’ai toujours envie d’arracher la langue de ceux qui considèrent comme absolument naturelle la domination de l’animal par l’homme, avec tout ce qu’elle autorise. L’homme, avec sa petite supériorité intellectuelle, qui n’est jamais parvenu à organiser sa démographie, à pacifier ses territoires, à considérer ses semblables comme égaux, ni même à préserver son habitat alors que le loup que l’on voudrait exterminer auto-régule sa population et contribue à la bonne activité des forêts, l’homme, donc, s’obstine à applaudir la mise à mort du taureau, à dépecer les écureuils pour assurer les beaux jours d’une industrie versatile, à entasser les poules pour que son omelette ne lui coûte qu’une bagatelle, à parquer les fauves pour qu’il promène gentiment sa petite famille le dimanche après-midi au cirque.
Il ferme dignement les yeux sur les scandales zoophiles, ou alors il en rigole grassement. Quelquefois il chasse, non pas pour assurer son repas, mais pour agrémenter ses journées d’hiver et rassurer son sentiment de toute-puissance. Pour que l’amusement soit complet, il n’hésite pas à élever lui-même ses proies pour mieux garnir son cheptel : elles viendront lui manger dans la main, il n’aura plus qu’à tirer dans le tas. Quand il a envie de sauver l’humanité, il teste ses expérimentations scientifiques sur de petits rats de laboratoire absolument pas concernés par ses recherches. Il est d’ailleurs plus facile de zigouiller un rat qu’un trop adorable chaton. Oui, parce que l’homme a créé sa propre échelle de valeur animale : il peut s’indigner du fait qu’on noie trois chatons, mais il approuve complètement qu’on arrache un veau à sa mère et qu’on le trucide pour la blanquette.

Mais revenons un tout petit peu vers les expérimentations animales en laboratoire, qui reste un massacre presqu’inutile vu que l’organisme humain n’a pas de commune mesure avec celui de l’animal. Cependant, les scientifiques n’ont pas à justifier les souffrances qu’ils infligent aux animaux, et ce n’est même pas la pertinence de leurs expériences qui pourrait être jugée, mais le respect des procédures qui les entourent. La multiplication de ces petites orgies de charcutage leur permet surtout d’obtenir de nouveaux fonds. Et tout le monde se bâfre : en Europe, alors que trois milliards sont dépensés en torture légale sur les animaux, seulement douze millions sont consacrés au développement d’alternatives bien plus performantes.

Je ne sais même pas ce qui m’énerve le plus. Que l’on considère l’animal comme un meuble, un bibelot, un esclave, un sous-produit vivant ? Que l’on en use sans mesure, sans discrétion, sans retenue ? Que l’on ne s’en attendrisse que lorsque son comportement s’approche de celui de l’homme ? Qu’est-ce que ça me gonfle d’entendre dire qu’il ne manque que la parole humaine à son chien ou à son chat : ils parlent déjà leur propre langage, l’humanité n’est quand même pas un indice de perfection. Et encore moins la mesure de toute chose, bon sang ! Ou peut-être l’incohérence du fait qu’on puisse conspuer quelqu’un qui abandonne son chien, mais qu’on en rémunère un autre qui massacre 200 cochons par jour.
Parce qu’on les connaît, les conditions d’abattage de ces animaux. On en a vu, des images, on en a entendu, des témoignages, on ne peut pas exactement assurer qu’on ne savait rien. Mais étrangement, une puissante amnésie frappe le consommateur lorsqu’il entame sa côtelette. Oh non, il serait bien incapable d’égorger le poulet qu’il sert chaque dimanche en famille… Il ne veut même pas y penser, au fait que d’autres dézinguent pour lui les petites bêtes qui illustraient ses livres d’enfant : il est bien trop occupé à essayer de le payer le moins cher possible, son poulet. Non, il préfère continuer à ne pas s’intéresser à l’impact que peuvent avoir ses petites manies, son confort ultramoderne, qu’il ne veut bien lâcher qu’une ½ heure chaque mois lorsqu’il signe une pétition pour sauver la forêt amazonienne ou qu’il applaudit une conférence de Pierre Rabhi. Par contre, que la forêt amazonienne soit détruite pour laisser place aux élevages bovins qui fournissent le cuir de la plupart des chaussures vendues en France, non, il ne voit pas le rapport. Je ne sais pas exactement où se situe le curseur du progrès en ce qui concerne la question animale car finalement, on s’inquiétait plus du sort des animaux au XVIIIème qu’aujourd’hui. Il suffit de relire Voltaire ou Rousseau.

On pourrait en trouver encore beaucoup, des invraisemblances, des cauchemars carnassiers baignés de sang flasque et de vapeurs putrides. Je pourrais encore parler du Grindadrap aux îles Féroé, de shark finning, et on s’endormirait gentiment ce soir après une tisane. Je pense vraiment que je m’agite pour une cause perdue et qu’on  ne saura jamais vivre intelligemment avec d’autres espèces, vivantes ou pas, d’ailleurs. C’est pour ça que souvent, la nuit, je rêve toujours que le lion dévore le monsieur Loyal, que le sanglier défonce la voiture, que l’orque décapite son dresseur. Que le taureau perfore le toréador. Trois fois. Et qu’il quitte l’arène sous un tonnerre d’applaudissements.

Mary Poppins.

4 commentaires:

  1. Hitler était un bon végétarien.

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  2. Ahah, je l'attendais, celle-là ! Hitler avait aussi deux bras, deux jambes, il est même possible qu'il ait bu de l'eau. Et, bon, il est probable qu'il ait respiré à l'aide de ses poumons, comme vous et moi. Ce n'est pas du tout ce qu'on lui reproche.

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  3. Alors ça c'est un article! Je m'incline bien bas :)

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  4. Magnifique article, sensible, fin, documenté et intelligent. Bravo.

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