vendredi 14 mars 2014

De l'amour. Mary Poppins.

Je n’aime pas trop l’usage qu’on fait des citations. Elles sont toujours sorties de leur contexte, et maintenant qu’on les trouve trop facilement, classées par thèmes, rangées comme des petites décorations militaires, tout juste flanquées du nom de leur géniteur et, au mieux, d’une date de conception, il me semble qu’il ne faut leur accorder qu’une petite légitimité, à moins d’avoir pleinement conscience des intentions de leurs auteurs. Pour toutes ces raisons, je n’ai que rarement recours aux citations, et je n’y prête pas vraiment attention.
Mais quand je lis :

« L’amour est une bonté sublime » (Alfred de Vigny)
« Seul l’amour peut garder quelqu’un vivant » (Oscar Wilde)
« L’amour triomphe de tout » (Virgile),
j’ai un tout petit peu envie de pleurer. Un jour quelqu’un m’expliquera pourquoi, le plus souvent, dès qu’on parle d’amour, tout se transforme en une guimauve molle et visqueuse, plus sucrée qu’un sirop de bons sentiments, parée de toutes les vertus, alors que moi j’ai l’impression que c’est le sentiment humain le plus insurmontable qui soit.
Déjà, au tout départ, la phase de séduction m’apparait comme une vaste entreprise narcissique où deux protagonistes ne cherchent qu’à montrer le meilleur d’eux-mêmes comme s’ils participaient à un entretien d’embauche. J’en vois tellement, partout, des qui, une fois la lune de miel révolue, ne peuvent plus s’empêcher de reprendre leurs petites manies, de se remettre à cultiver les petites horreurs qu’ils avaient enfouies pour plaire à l’autre. Tristesse des désenchantements. Mais ce qui m’agace le plus, quand je les regarde, c’est la cristallisation de leur attachement dans une confiture d’insipides inepties, de petits mensonges de complaisance, d’adoration aveugle toute fleurie d’un merchandising de saint Valentin. Et puis cette idée que chacun appartient à l’autre, qu’on a des droits sur lui, comme si on pouvait légitimement avoir l’assurance que l’on est nécessaire à l’autre. Ah et puis ce romantisme anémié qui… : Ennui.

Pour moi, l’amour, c’est une bataille, une guerre, une boucherie. Un truc qui te coupe le souffle, les mains, qui te saigne, te pulvérise sans te laisser de repos. Tu ne dors plus, tu ne manges plus, la lumière du jour est devenue trop forte, ou trop faible. Dès que l’autre - proie et bourreau tout à la fois- pénètre ma raison, s’enclenche un violent dispositif de protection qui lutte pour empêcher toute invasion. Ma liberté se bat comme une furie, refuse tout asservissement. De l’autre côté, mon cœur déborde, s’emballe, s’éteint, meurt puis se rallume. Leur lutte me laisse exsangue, complètement inadaptée à la vie normale : je flotte.
Quand je suis amoureuse, je n’ai pas envie d’embrasser l’autre, non : j’ai juste envie de le découper en deux dans le sens de la longueur et de me recroqueviller à l’intérieur, de boire son sang jusqu’à ce qu’il devienne tout pâle. Et puis après, inéluctablement, il y a le manque, ce serpent qui brûle tout à l’intérieur, une faim jamais repue, l’abomination de l’absence de l’autre, l’angoisse de ne plus être reliés, l’infernale utopie de ne pouvoir former qu’un seul être à deux.

De toute façon, l’amour vrai n’existe plus, enfin il est à peine toléré. La vraie vie, les institutions, la morale l’ont banni. Évidemment : c’est le truc le plus dangereux pour le bon fonctionnement d’une société. N’essayez même pas de vivre fous amoureux sous nos latitudes, on vous tuerait. Tout est fait pour que les sentiments laissent place à la raison.
Le mariage, évidemment, une tentative de corrompre l’amour en une sorte de micro-entreprise dans laquelle deux associés ne s’accouplent plus que pour faire fructifier leur union : régime de séparation des biens signé chez le notaire, assurance vie, placement à long terme, et puis des enfants. Tout ça n’a rien à voir avec l’amour mais personne ne dit rien.
Lorsqu’une fièvre paranoïaque me prend, j’en viens même à me demander si les MST n’ont pas été inventées pour nous tenir bien au chaud dans nos petites maisons à crédit, avec un petit mari, une petite femme, une petite voiture, un petit jardin, un petit chien, les petites vacances annuelles.
La morale ensuite, cette triste faucheuse qui coupe tout ce qui dépasse sur son chemin. Rentrez vos langues, serrez les cuisses. On n’a plus le droit que d’aimer un seul être, et encore il faut l’aimer gentiment, sans vague, proprement. L’amour vrai ne propage pas le bonheur parce qu’il est beaucoup trop effrayant.
La vraie vie qui, si on ne la maîtrise pas un peu, laisse s’éteindre tous les feux, les fièvres les plus brûlantes, les batailles les plus ardentes. Il peut être triste, le petit jour, quand il se lève sur une chambre trop bien rangée, un lit trop ordonné.

Heureusement, mais c'est très rare, il y aura toujours, quelque part, un peu de place pour que deux âmes, deux corps fusionnent absolument, sourds à tout ce qu’on aura pu en penser, aveugles à tout ce qu’on aura essayé de démontrer. Et pour terminer, je finirai, parce que j’ai l’esprit de contradiction, par une citation, mais de Nietzsche, que l’on peut invoquer les yeux fermés :

« Beaucoup de brèves folies - c’est là ce que vous appelez amour. 
Et à ces brèves folies votre mariage met fin, par une longue sottise.»

Mary Poppins.

4 commentaires:

  1. ça c'est savoir parler d'amour !

    RépondreSupprimer
  2. Votre texte est un peu trop punk-triste à mon goût mais il présente (comme vso autres textes de ce blog) de sérieuses qualités. Je lui ai donné écho sur mon mur FB : https://www.facebook.com/lui.mezigue

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci monsieur M. Dorénavant, c'est aussi pour vous que je rendrai ma copie chaque 12 au soir à mon tyrannique rédacteur en chef. Votre page FB est très intéressante.

      Supprimer
  3. Au final c'est un peu ça :

    Toi qui, comme un coup de couteau,
    Dans mon cœur plaintif es entrée,
    Toi qui, comme un hideux troupeau
    De démons, vins, folle et parée,


    De mon esprit humilié
    Faire ton lit et ton domaine,
    — Infâme à qui je suis lié
    Comme le forçat à la chaîne,



    Comme au jeu le joueur têtu,
    Comme à la bouteille l'ivrogne,
    Comme aux vermines la charogne,
    — Maudite, maudite sois-tu !


    J'ai prié le glaive rapide
    De conquérir ma liberté,
    Et j'ai dit au poison perfide
    De secourir ma lâcheté.


    Hélas ! le poison et le glaive
    M'ont pris en dédain et m'ont dit :
    « Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
    A ton esclavage maudit,


    Imbécile ! — de son empire
    Si nos efforts te délivraient,
    Tes baisers ressusciteraient
    Le cadavre de ton vampire ! »

    Le Vampire, Charles Baudelaire (Sisi)

    RépondreSupprimer