mercredi 13 mars 2013

Tranche de vie... JohnnyBadDog.

NB : Les anecdotes et citations de ce récit sont tirées de faits réels et vécus !

« Si j’étais pas rentré dans les TP à 18 ans, aujourd’hui je serais sûrement en cabane ou je passerais mon temps aux putes, maintenant j’y vais mais que la semaine !! »

Cette réplique ne sort pas d’un film écrit par Audiard ou Mocky, elle est celle d’un compère poète de boulot. Voici le sujet de mon article ce mois-ci, mon boulot, ou plutôt le monde dans lequel j’évolue professionnellement car avant d’être un métier, les travaux publics sont un monde, au sens propre du terme avec ses codes, ses valeurs, son vocabulaire, un mode de vie, une mentalité bref un monde à lui tout seul.


Je suis tombé dedans un peu par hasard mais surtout avec beaucoup de curiosité et d’admiration pour ce « métier » dans lequel on crée des routes, des ponts, des tunnels, des lignes de TGV, des aéroports…au milieu de nulle part ou dans des endroits insolites pour de telles constructions. Des machines ou engins énormes pour un travail d’une précision et d’une technicité surprenante. Mais passons, je ne suis pas là pour vous parler du « métier » comme on dit mais pour parler des Hommes qui font ce monde ! Car la chose je crois qui me fascine le plus dans ce dur et épuisant boulot, ce sont tous ces gens : des ingénieurs, des ouvriers, des patrons, des immigrés, des ex taulards, des anciens boulangers reconvertis malgré eux, des zonards, des fachos, des syndicalistes, des intellos, des illettrés, des marginaux, et même des consanguins ! Tout ce monde cohabite, se croise, se supporte ou pas et s’entraide le temps d’un chantier quelque part en France. Je pense que sociologiquement, il n’y a pas plus hétérogène et éclectique que les Travaux Publics et c’est ce qui en fait sa particularité et ce qui en explique ma fascination.

Il faut savoir avant tout que c’est un métier de troubadours, des mecs qui débarquent dans nos chères campagnes françaises non pas pour colporter des nouvelles ou des récits mais tout aussi poétique : pour faire passer une autoroute, une ligne TGV, un pont, à travers les champs de nos paysans, à quelques centaines de mètres de petits villages pittoresques, le long d’un étang protégé ou à travers la forêt dans laquelle on a toujours eu l’habitude d’aller chercher des champignons depuis l’enfance. Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que tout ce petit monde de nomades modernes est souvent perçu comme un occupant, un envahisseur temporaire qui vient foutre la merde et repart en ayant saccagé des terres si paisibles auparavant, violés femmes et enfants, ainsi l’accueil reste souvent froid et les relations locales délicates.

Mais vivre la chose de l’intérieur est tout à fait différent, c’est une sorte de communauté de travailleurs, des sortes de gens du voyages en règles (plus ou moins) venant de tous horizons, tous niveaux sociaux et intellectuels et c’est en ça que je trouve la chose enrichissante et passionnante, ça parle patois, normand, arabe, breton, ch’tis, portugais, polonais, enfin ça parle pas ça gueule mais c’est malgré tout beaucoup de respect les uns envers les autres … C’est aussi l’un des rares métiers où Roland, 61 ans, sans diplôme, enfant de l’assistance, excellent chauffeur d’engin, alcoolique pas anonymes, envoie « aller se faire enculer » ouvertement Fabien 35 ans ingénieurs des Mines, directeur de Travaux, car ce dernier lui explique que de nos jours, l’huile de vidange de sa machine ne se jette plus par terre (environnement oblige). C’est aussi JB manœuvre de 26 ans qui au cours d’une discussion entre lui et moi à propos des femmes vaginales et des femmes clitoridiennes (oui nous aussi mesdemoiselles on parle de choses intimes) m’annonce paisiblement que sa chère cousine est « elle 100% vaginale tu vois !! » Mais aussi Aïssa chauffeur d’engin, la quarantaine qui peste toute les minutes en écoutant France Culture toute la journée et t’explique pourquoi la crise financière de 2008 est devenue une crise économique puis sociale ! Ouf à 7h30 du mat’ c’est dur… Puis il y a René, la soixantaine, mais 80 ballets pour ses poumons et son foie, toujours à blaguer et à traiter le 1er col blanc qui passe sur le chantier « d’inapte et de bon à rien » qui m’appelle à midi pour m’annoncer qu’il ne sera pas au chantier cet après-midi car il a « picolé et c’est trop risqué qu’il prenne la route pour venir et qu’il voudrait pas que j’ai des ennuis pour ça… » et il y a une anecdote comme ça pour chaque jour de l’année. Ces gars-là sont des livres, les vies de certains sont des romans, les écouter est un régal et souvent un bon prétexte pour rire.

Il y a évidemment la relation aux femmes car on est un « métier de couilles » et là aussi c’est toute une histoire… de cul… on ne compte plus le nombre de divorces ou de femmes et maris cocufiés. Les caravanes des ouvriers la semaine sont des cocons d’amour et de tendresse (pour rester aimable) avec la gente féminine locale excitée et curieuse de voir arriver ces « gars de chantier » dans leur si petit village et si paisible routine, un amour éphémère qui s’arrête la plupart du temps une fois que les trains ou les voitures passent enfin sur l’ouvrage construit.

Mais il ne faut surtout pas oublier de dire le plus important, tous ces troubadours, ces poètes modernes, ces râleurs, ces grandes gueules sont des bosseurs infatigables et d’une conscience professionnelle rare qui arrivent pour une majorité à la retraite cassés en deux sans pouvoir profiter mais à les entendre c’est pas grave puisque comme dit René à son « enculé de pneumologue » : « on n’est pas sûr d’arriver mais si on est arrivé, on est sûr de partir un jour, le reste c’est que des conneries » bien dit mon René.

JohnnyBadDog.

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