mercredi 13 mars 2013

L'interview de Gustavo : Pacôme Thiellement.

Pacôme Thiellement vu par Arnaud Baumann
(devant une toile de Orsten Groom)
Première interview masculine ! Il était temps, à force, on m’aurait pris pour un militant féministe, quelle horreur... Mon dernier article (billet d’humour) a été inspiré par un livre de Pacôme Thiellement, Tous les chevaliers sauvages, tombeau de l’humour et de la guerre, que je citais d’ailleurs. J’ai eu la chance d’échanger des mots avec ce personnage atypique et mystique, que j’avais découvert sur le plateau de l’émission de Fréderic Taddéi, Ce soir (ou jamais !). Ce barbu même pas islamiste qui a dépassé l’âge du Christ a écrit plusieurs essais, notamment sur la série Lost, Led Zeppelin ou encore Frank Zappa. C’est pas le genre de mec à dire des conneries, voyez par vous-même.


Gustavo Mazzatella : Pouvez-vous vous présenter ?

Pacôme Thiellement : Je suis né à Paris. Je m’appelle Pacôme Thiellement.

GM : Vous définissez-vous comme un écrivain ?

PT : Je suis démonologue. Je travaille sur la question du diable, du Mal, des démons, des tortures éternelles. Parfois je fais des textes, parfois des films (avec Thomas Bertay).


GM : Vous avez une formation de montage vidéo, je trouve que cela se ressent dans votre façon d’écrire. Vous mêlez des éléments ensemble qui n’ont pas forcément de rapport évident afin de démontrer votre raisonnement. C’est voulu dès le départ ou ça vous vient naturellement en écrivant ?

PT : Je n’aime pas écrire autrement. J’aime faire le montage de séquences aux liens intuitifs plutôt que logico-déductifs. J’aime les renversements de perspective, les chausse-trappes, les systèmes cryptés, les mindfuck. J’aime les systèmes d’analogie, les effets de miroir, les bifurcations inattendues, et les livres dont la dernière page dit quelque chose de différent que le reste du livre.

GM : Vous avez donc écrit « Tous les chevaliers sauvage, tombeau de l’humour et de la guerre ». Comment vous est venu l’idée d’associer la guerre et l’humour, les samouraïs et l’équipe d’Hara Kiri ?

PT : J’imagine que c’est l’image de Choron détruisant le téléviseur avec une hache dans «Les raisins verts» de J.C. Averty. Mais très honnêtement, les liens se sont tissés progressivement. Les livres s’écrivent sur du temps long, progressivement des relations se mettent en place, une ligne, plusieurs lignes apparaissent. La mise en relation Hara-Kiri/Samouraïs est venue assez vite, mais elle s’est amplifiée à mesure que le livre avançait, jusqu’à nécessiter une ouverture consacrée à Hirohito et Mishima.

GM : J’ai senti tout au long du livre, une forte envie de réhabilitation d’Hara Kiri mais surtout du Professeur Choron qui n’est pas reconnu comme il devrait l’être. Je me trompe ?

PT : C’est mon plus grave défaut : donner l’image d’un type qui se ballade dans les rues avec une pancarte : «Réévaluez Hara-Kiri». Je préférerai que, spontanément, le texte stimule le lecteur et lui donne envie d’approfondir certains sujets. Mais parfois je me laisse aller et je dis : Eh, ce truc est génial, vous savez. En général, ce sont les plus mauvaises pages du livre.

GM : Quel est selon vous le rôle d’un humoriste ?

PT : Plus aucun. C’est le sens du livre, non ? A partir de 1974 et donc de la décision des politiques de calquer leur parcours sur les décisions du monde économique, les hommes politiques sont devenus des humoristes, des stand-ups. C’est le mot fameux de Zappa : «Le monde politique est la section «divertissement» du monde industriel et financier.» Ceux qui font profession d’humoristes se condamnent d’avance à être les faire-valoirs des précédents. Ça n’a aucun intérêt, quoi, aucun.

GM : Est-ce qu’il y a un humoriste qui vous fait rire actuellement ? 

PT : Si c’était le cas, je n’aurais pas écrit : «Il faut renoncer à l’humour.» J’aurais écris : «Il faut renoncer à l’humour, sauf le spectacle de Jamel.» Ça aurait eu l’air un peu tarte, non ? Heureusement que l’humour ne me fait pas rire.

GM : J’imagine que le Charlie hebdo actuel vous répugne, surtout qu’il est considéré par de nombreuses personnes comme « impertinent » ? Je le trouve symptomatique de l’époque ou tout ce qui est soi-disant anticonformiste est très modéré...

PT : Le pseudo-Charlie est pire encore que tout ce qu’on peut en dire. Ses dessinateurs sont nuls, pas drôles, pas intelligents. Ils n’ont aucun style, aucune fantaisie, ressemblent à des enfants malades. Que quelques vieux génies (Cavanna, Willem, Wolinski) soient encore là ne change rien à l’affaire : en se focalisant systématiquement sur les barbus, sous prétexte de «défendre la liberté d’expression» (mon oeil), ce torchon travaille pour les ennemis qu’ils croient combattre, à savoir l’hyper-droite, dans toutes ses formes. Et puis ils ne sont pas drôles… Je vous l’ai dit, déjà, qu’ils n’étaient pas drôles ?

GM : On a l’impression qu’il n’y a plus de morale, qu’on est complètement libre, mais ce n’est qu’une impression, notamment avec internet, on voit bien que cela est beaucoup plus contrôlé qu’on ne le croit. Comment jugez-vous l’omniprésence d’internet dans la société ?

PT : Pas encore assez omniprésent, en fait, puisqu’il y a encore des idiots qui croient que la presse contient plus de choses vraies que n’importe quel blog. Julien Assange et tous les cyber-activistes sont mes héros.

GM : Dans le livre, vous parlez d’un univers double, avec notre univers et son ombre, et vous évoquez le destin de Jean Eustache qui aurait peut être trouvé la méthode pour passer dans l’au-delà. Vous êtes croyant ? Vous croyez a la réincarnation par exemple ?

PT : Je ne suis pas croyant, je suis gnostique.

GM : Vous vous arrêtez longuement sur l’émission Droit de réponse de Polac, que vous décrivez comme un film, ou au moins comme une mise en scène. C’est pas un peu trop d’honneur pour une simple émission tv ?

PT : Vous trouvez ? J’ai toujours voulu produire l’exégèse, le ta’wîl, d’un plateau télévisé. Le plateau télévisé est la scène moderne de bifurcation psychique, d’enténébrement des hommes : en ce sens, sombre et mortifère, elle est sacrée. C’était l’occasion de le détailler. Je pense que j’en referai d’autres, dans de prochains livres.

GM : Vous déplorez, à juste titre, que seul les personnes non concernées à part Cavanna ont un temps de parole raisonnable. Vous pensez que l’équipe de Charlie hebdo n’aurait pas du faire cette émission ? D’ailleurs au cours de l’émission, Choron regrette qu’elle ait lieu trop tard…

PT : Non, je ne dis pas ça. Je dis qu’elle l’a tué. C’est un moment tragique, mais il ne faut jamais penser au conditionnel. Ce qui a eu lieu a eu lieu. Ce qui sera sera. Est-ce que vous pensez que Hitler n’aurait pas du envahir la Pologne ?

GM : Vous évoquez ensuite un fait divers terrible qui a lieu en 1981 à Paris, lorsqu’un étudiant japonais a tué puis mangé une étudiante hollandaise tout en prenant des photos après lui avoir demandé de lire à haute voix un poème de Johannes Becher en l’enregistrant à l’aide d’un magnéto. Il a revendiqué un acte artistique notamment avec cette phrase « Ne dit-on pas belle à croquer ? » et n’a pas été jugé coupable en France... Il « faut renoncer à l’humour » lorsque la réalité dépasse la fiction ?

PT : Il faut répondre à la fiction par une fiction supérieure. Dans ce livre, j’ai à peine évoqué la figure de Jean-Edern Hallier. J’y reviendrai ultérieurement parce que c’est, avec Andy Kaufman, une des rares figures qui ont réussi à utiliser la télévision comme médium artistique à part entière après 1974. Je suis très agacé par ceux qui estiment que son histrionisme a gâché son talent initial, qu’il aurait mieux fait de rester sobre et digne et d’écrire des romans pour Gallimard ou Grasset. Lorsqu’il vient parler de son enlèvement en 1982, à Apostrophes, face à un chef de la police complètement perdu, brouillant les cartes et achevant sa performance par l’idée que son ex-ravisseur et lui songeaient à enlever la fille d’un président de la république française, il a compris qu’il fallait surenchérir sur la réalité par une fiction supérieurement vraie, une fiction qui contienne, comme chantage, des morceaux de vérité, afin de faire ployer le réel et de retrouver la forme supérieure de l’illusion : Maya. C’est une figure parfois ténébreuse mais elle est infiniment plus passionnante, infiniment plus dense artistiquement et intellectuellement, que celles de la plupart de ses contemporains.

GM : Vous ne nommez à aucun moment Nicolas Sarkozy, que vous appelez d’ailleurs « l’inommable ». Pourquoi ?

PT : A partir d’un point précis du livre, tout bascule dans la fiction et personne n’est plus vraiment lui-même. Le président devait être innommable et d’ailleurs, il n’y a qu’un seul président légitime dans ce livre, évoqué régulièrement, mais dans le monde miroir : Jacques Chaban-Delmas !

GM : Qu’est ce que vous pensez du rap ? Rien à voir avec votre livre mais vu que vous traitez souvent la culture populaire, votre point de vue m’intéresse sur ce sujet.

PT : Dans ce livre, j’évoque Wu-Tang Clan. J’aime le rap, OK, mais j’adore Public Enemy, Cypress Hill, Kool Keith, OutKast, Wu-Tang Clan. En France, j’adore Casey et j’adore Arm. Les morceaux de Psykick Lyrikah m’émeuvent jusqu’aux larmes.

GM : J’ai vu une de vos vidéos dans laquelle des gens se mutilent le corps, ils vont jusqu’à s’enfoncer des couteaux dans les yeux et tout cela se déroule avec une musique classique en fond et est entrecoupé d’images du concert. Cette vidéo fait partie d’une série « le dispositif » que vous réalisez toujours avec Thomas Bertay. En fait, ce n’est pas de la création d’images mais des montages de choses totalement différentes, allant de talk-shows à des images d’accouchement en passant par des rituels kurdes. Quel est le but de ces vidéos ? S’il y en a un…

PT : Vous faire tourner la tête mon ami.

GM : Pour finir, contre qui ou contre quoi faut-il mener une guerre aujourd’hui ?

PT : Contre les structures morbides et délétères dans lesquelles nous sommes pliés. Contre ceux qui jouissent de ces structures. Contre Satan Trismégiste.

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